samedi 27 mars 2010

tailler un costard sous les tropiques

Nous sommes dans un coin de la place centrale de Riberalta, au restaurant « El horno Camba », (le four de celui qui vit dans l'Est du pays) accessoirement le point de retrouvailles des partisans du MAS, ainsi que pied à terre de tous les voyageurs venus de La Paz. On raconte qu'Evo y est même venu manger. J'y ai pris mes habitudes depuis une semaine.


 
Nous sommes mardi. Assis dans ce restaurant, conversant avec une de mes nouvelles connaissances, je distingue de l'autre côté de la terrasse un groupe d'hommes, en bonne tenue, très affairés.

 
L'un de ces types s'approche et vient saluer mon compagnon de table, qu'il semble connaitre. Il porte costard cravate, mon voisin devant mon visage interrogateur m'explique qui il est. Avec nous à table est présente une jeune norvégienne, travaillant pour l'ONU dans le cadre de sa thèse sur la vie des communautés indiennes takanas.


Le type lui, s'appelle Freddy. Il s'assoie et commence à nous raconter l'histoire de sa grand-mère.


Une grand-mère née dans une communauté takana, peuple pacifique. Comme de nombreux Takana alors, cette femme sera enlevée par une autre communauté indigène rivale pour être vendue en ville contre des armes et des munitions. Elle sera élevée par une famille en tant qu'esclave, ou plus élégamment dit, domestique. Jamais notre compagnon n'oubliera cette histoire qui est aussi la sienne et il garde un lien très fort avec cette origine.

 
Un ami de Freddy s'approche alors, et; une fois les présentations faites, l'on apprend que celui-là est marié à une suédoise. Mais parle la langue du pays voisin.

 
Ainsi, j'ai tranquillement ce soir là écouté une conversation en norvégien au cœur de l'Amazonie bolivienne.
Pendant ce temps, notre ami petit fils de takana, a l'air très occupé, constamment sollicité par téléphone, agacé par n'avoir aucun répit. Il prend congés et nous laisse sa carte avec au dos son numéro de téléphone personnel.

Et puis la semaine passe. La pluie succède à a chaleur.

 
Et ce vendredi, malgré la tourmente subite, je décide de me rendre quand même au restaurant histoire d'avoir quelque chose dans le ventre pour la nuit. Peu après mon arrivée; alors que j'attends mon plat, Freddy passe l'entrée. Il me fait un bref salut de loin, et va s'asseoir au bar. Regarde les infos à la télé, le MAS est dictato-communiste, l'opposition vit un véritable calvaire. Rien de neuf sous le ciel des écrans tropicaux.

Et puis cinq minutes après, il décide de venir s'asseoir à côté de moi.

Il demande qu'on lui apporte son plat et trinque, moi à la citronade, lui au Fanta.

Face à ce genre de personne, qu'est-ce que vous pensez qu'on va parler ?

 
Du boulot, évidemment, même si rapidement je vois que ça l'agace. Il me parle de la norvégienne, me demande si je l'ai vu, me pose quelques questions sur ce que je fais ici mais il ne semble pas au fond vraiment intéressé. Il me demande si je suis croyant, me laisse pas le temps de répondre et me dit que lui est athée, ni Dieu, ni Jésus ni la Pachamama, et son fils pareil, il l'a éduqué comme ca, parce que toutes ces conneries ne servent à rien. L'homme c'est quoi devant l'immensité de l'univers, les étoiles, les constellations ? c'est rien. Et pour le minuscule pouvoir qu'il nous reste, qu'est ce qu'on fait ? on passe notre temps à se battre pour le garder. Même ce minuscule certains en ont plus que d'autres.

J'ai du mal à réagir.

Il me demande d'où je viens, et puis me parle de Paris, il y était allé tout jeune en 1981, il y est retourné en 2006, me parle d'une banlieue où il n'y a que des arabes. Je souris, tente de lui expliquer le concept de banlieue à la française. Il n'en a goutte. Hors sujet.
C'est moi qui écoute et lui qui parle, il à l'air d'en avoir besoin. criant.


Alors je change de conversation et parle d'une chose qui ne peut pas ne pas l'intéresser. De lui. Qui il est, comment il va dans cette vie de fou, est-il heureux ?


Et c'est à cette dernière question qu'il va répondre : non. puis plus précisément :



« Ce que je voudrais vraiment pour être heureux ? Tu sais, j'ai un petit carré de terre un peu plus loin sur la route qui mène à Guayanamerin, j'aimerais être dans ce petit carré de terre, avec un vache qui donne du lait, je voudrais la traire tranquillement, cultiver mes légumes, et c'est tout, pas besoin de plus. »
Il marque une pause, et reprend :

« Mais je peux pas, tout ça je le fais pas pour moi, des gens l'ont voulu et je dois le faire. Et j'y suis pour encore quelques années, au moins jusqu'à 2015. Et plus tard peut être. Je mourrais surement avant d'avoir pu traire ma vache, enfin j'aurais pas perdu ma vie pour autant ».
J'essaie comme je peux de le réconforter mais ça semble pas son jour ….

Après ça, il restait plus grand chose à dire. Ca tombe bien, Freddy a terminé son repas. Il prend congés poliment et va terminer son verre au bar, et discuter un peu avec la gérante qui se trouve également être sa nièce. Et puis il s'en va.

Il reviendra en Amazonie dans une semaine, pour voter, et puis il repartira à la Paz, où il travaille, passera une fois par mois par sa terre natale, mais pas plus.

 
Je termine mon repas et vais régler la note.


En sortant je vois l'affiche sur le mur. Je l'avais déjà remarqué. C'est un calendrier aux couleurs du Movimiento Al Socialismo.
Et en regardant cette fois de plus près je lis ce qui est écrit en dessous.

Vive le changement, vive le MAS
Freddy Bersatti, Senateur du Béni, 2009-2015

 
Ce soir là le punk n'est pas passé.
Ca aurait été drôle tiens, un punk et un sénateur à la même table.
Et moi au milieu.

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