lundi 12 avril 2010

Super Mario et le prophète

Vous connaissez tous Super Mario ? Mais si ! Le jeu vidéo, de Nintendo, le petit bonhomme à moustache, avec ses habits rouges et bleus, plombier à temps partiel. Mais qui passe son temps à parcourir le monde pour sauver des princesses des méchants. Ah, Mario, celui qui fait disparaître ses ennemis en sautant dessus et qui grossit quand il mange des champignons ! Et qui en vil capitaliste collectionne les pièces jaunes ! Toutes nos enfances, non ?

Ce soir vous allez apprendre deux choses essentielles :
Premièrement : Dans le jeu Super Mario 64 sur la Nintendo 64 (original, non?), dans le niveau du désert, il existe un petit singe qui se planque derrière les dunes pour chiper le chapeau de Mario. Et vous savez quoi ? Ben quand Mario il a plus son chapeau, il perd ses pouvoirs supermarioesques !

Deuxièmement : il m'est arrivé peu ou prou la même chose que Mario.


Car j'ai perdu ma casquette.
Celle que j'avais achetée au Venezuela, le jour de la grande manifestation du 23 janvier.
Verte foncée, genre une casquette de guerillero. Avec l'étoile rouge qui fait genre et tout,
Probablement cousue par des enfants esclaves dans des ateliers de la honte, made in china.
Bref un joli souvenir. Précieux.
Et je l'ai perdue, enfin je sais où elle est … écoutez plutôt.

Tout commence par cette journée normale à cela près que je me rend compte que demain expire mon visa en Bolivie. Je dois donc aller dans la ville frontalière la plus proche, me rendre au Brésil, suivre les démarches là bas et par je ne sais quel artifice officieux administrativo-légal revenir en Bolivie et refaire tamponner le passeport pour le temps restant.

Me voilà partit de bonne heure ce samedi, direction la gare routière de Riberalta, qu'on appelle ici le Terminal. D'où l'on peut également partir. Drôle. Terminal à la fois pour les bus (flota) et taxis collectifs. Vu que le prochain bus est 5 heures plus tard, je choisis le taxi collectif, 4 passagers, 4€ par personne.
Alors que l'on attends un éventuel quatrième passager, arrive à toute bourre une voiture cabossée, pare brise fissuré de partout, pare choc moitié défoncé.
L'homme qui en sort est plus une masse de graisse que de muscle, il se met à engueuler violemment un de ses collègues avant de faire deux trois blagues graveleuses. Puis il me propose de m'emmener seul pour le double du prix (au lieu du quadruple normalement puisque je suis seul, vous suivez ?). Etant donné les horaires des officines migratoires et l'état plutôt confortable de mes finances, je me lance dans l'aventure.

Et c'est parti direction Guayaramerin, à une heure et demi de route. Je dis route, c'est en fait chemin de terre en état plus ou moins potable et où l'on roule à plus de 90 à l'heure, circulant entre les énormes nuages de poussières émis par les camions lancés dans leur course folle. La voie est heureusement plutôt large et assez rectiligne mais ce n'est pas non plus une promenade de santé. 



Le type énervé est maintenant un peu plus calme, je tape la causette. On fait les présentations.
Il s'appelle Moise. (prononcer Moïssé)

La « discussion » plus ample s'ouvre en passant devant le camp des militaires forestiers par un « ils ne servent à rien ces militaires » engageant. Reprenant au vol cette saillie, on commence à parler plus ou moins politique, soit que je pose les question et lui il répond, à sa manière.
J'apprends donc pour commencer que les militaires ne servent à rien. Ce qui en soi ne me choque pas vraiment. M'enfin là c'est surtout que « c'est notre argent du contribuable qui les paye à rien foutre ». Il commence à bien me plaire ce type. Ensuite, on se découvrira qu'ici comme en France, le gouvernement ne fais rien pour les gens. Je questionne sur les résultats spectaculaires de Morales aux élections : « S'il est si populaire c'est parce qu'il est élu par ces indigènes, qui comprennent rien. D'ailleurs tous ces gens de l'Ouest, de l'altiplano, les coyas, c'est tous des fainéants. La preuve ! ici il y a tant de terres cultivables et personne ne vient rien cultiver, tous des faignants ».
Quand à Evo Morales : « celui là, il veut tous nous mettre en prison
Et il conclut sur une espérance positive : « il faut le tuer, « ils » vont le tuer un de ces jours et enfin ce sera bon débarras, on sera à nouveau dans un pays libre ».
(je ne lui ai pas dis, mais pour l'instant sont prévus pour la prison les fraudeurs électoraux, ceux qui ont fait des tentatives de coup d'Etat et les corrompus, oui ça fait quand même du monde)

Le calme revient soudain, alors que nous croisons un autre taxiste, tombé en rade sur le bord du chemin. Mon chauffeur s'arrête propose de les prendre dans notre taxi le reste du chemin. Entrent donc sur la baquette arrière papy, mamie, maman papa et deux moufflards. Ça rentre, malgré l'exigüité de la voiture. Moïses est enchanté par cette opportunité d'aider son prochain, euh pardon, de se faire plus de pognon. On terminera le voyage sans un mot les nouveaux passagers ayant des têtes un poil plus indigènes que la mienne, et vous savez bien comment ces gens savent limiter violemment la liberté d'expression des citoyens ordinaires.
Bon « chrétien », Moise ne leur fera payer que le prix pour la moitié du trajet.

J'arrive à l'embarcadère de Guayaramerin, et j'embarque lorsque je me rend compte que …
J'ai oublié ma casquette dans la voiture.
COÑO MADRE DE MIERDA comme on dit dans le dialecte poétique du Venezuela.
Je ne peux plus faire demi tour, au milieu du fleuve, dans une minute au Brésil. Je dois : foncer à l'office d'immigration, prendre quelques photos made in brasil, parce que bon hein! puis revenir au port, prendre le bateau dans l'autre sens, passer à l'officine d'immigration bolivien et … retrouver Moise.



Revenu en Bolivie et en règle, je me lance dans ma grande quête « prophétique »
Direction le terminal de Guayaramerin.
Moïses n'y est évidemment pas et on ne le connait pas ici, il vit à Riberalta. Comme moi. CQFD.
Une demi-heure plus tard je grimpe dans un autre taxi pour retourner dans la bonne ville de Riberalta avec 3 autres passagers, le tout serrés sur la banquette arrière.
Sur le point d'arriver, on croise un autre taxi tombé en rade. On s'arrête l'aider. Un petit caillou a été projeté sous la voiture et est allé se loger directement dans le réservoir d'huile.


Et nous voilà repartis avec attaché derrière nous, au bout d'une corde qui tangue, l'autre voiture, avec le taxiste dedans qui dirige comme il peut. Corde qui manquera pas de se rompre est d'aller s'embourber dans les pattes du susdit taxi, histoire d'améliorer encore un peu son état. Finalement l'on arrive sans « encombres » avec une demi heure de « retard » au terminal de Riberalta.
« Moise? Ah oui, il avait effectivement une nouvelle casquette quand il est revenu, mais tu tombes mal, il vient juste de partir. »
Où ça ? « Peut être chez lui, sa journée est finie. »
Comment on y va ? Un ami du cousin du frère d'un taxiste accepte de m'emmener..
C'est pas très loin de là où je loge moi-même, mais son quartier est nettement plus miséreux,.
Et Moïse n'est pas là.
Retour au terminal. Toujours pas d'apparition bondieusesque.
On est samedi, il ne reviendra que lundi.
« Ah mais peut être qu'il est à ce rassemblement là bas, devant la télé qui est dehors avec les autres moto taxi, dans le centre. »
Je vois nettement le lieu en question vu que j'y passe une fois par jour quand je vais au resto pour manger et choper accessoirement une bonne tourista. C'est également le point de rassemblement de tous les partisans qu'il reste des corrompus inefficaces qui viennent de perdre les élections. Actuellement ceux là qui étaient avant aux affaires sont en train dans leur mois qui reste avant la passation de pouvoir, de dépenser l'ensemble du budget annuel, faire approuver tous leurs projets qui n'aboutiront à rien sinon pire pour un an de plus, vider les caisses et brûler les papiers compromettants. Convergence Amazonienne qu'ils s'appellent. Et ce n'est que la droite modérée.

Je me rends sur les lieux, et tombe devant un groupe plus nombreux que d'habitude. Genre un attroupement. Juste un match de foot. J'essaie de chercher des yeux Moise. Nulle trace. On me dit qu'il n'est pas venu aujourd'hui. Je m'en vais, repasse par chez lui. Sa jeune et jolie voisine m'apprends qu'il ne rentre que le soir très tard. Qu'il vit seul et reste très fermé. Elle n'a pas l'air de l'aimer beaucoup ce type.
.
ultime passage au terminal. Cette fois non vraiment il ne viendra pas.
« D'ailleurs il doit être en train de boire dans un coin ou ne sais où. Oui parce qu'il est alcoolique.
Et ce soir il va sûrement aller fêter la « victoire » aux régionales de la droite (le Béni d'abord, la droite dure cette fois). Et d'ailleurs il l'a surement déjà vendue ta casquette. »
enfin, histoire de m'achever : « T'es mal tombé gringo. C'est un desgraciado celui-là. On t'aurais bien aidé mais là on ne peut rien faire »
Desgraciado, signifiant selon la terminologie locale un mélange d'enfoiré de sale type, qui vendrait père, mère et enfants pour une bouteille de whisky. Un qui n'a jamais reçu la grâce. Grosso modo.

Me voilà rentré à la maison, sans casquette. Faut avouer que c'est beaucoup moins flagrant maintenant mon pseudo-style « I'm lovin' Revolution »... C'est pas comme quand on perd un téléphone portable ou un bras où là c'est bien une partie essentielle de soi même qui s'en va, l'effet c'est plus comme si on t'avait coupé les cheveux pendant la nuit. Et que tu sens quelque chose de pas normal au réveil, et quand tu te regarde dans la glace, t'es chauve.

Et pendant ce temps, un « gros con obèse alcoolique raciste machiste avare et de droite » soit un « pauvre type » comme il en existe pas mal de par le monde, quelque part dans cette ville de plus de 100 000 habitants, porte actuellement ma casquette avec une étoile rouge guévariste, prêt à la vendre au moins offrant.
Et ce type s'appelle Moise.
Remarque, c'est bien lui qui a coupé en deux la mer … Rouge.
Faut toujours se méfier des anti-communistes

Ce dimanche matin, aux aurores, vers 11h, je passe au cas où devant chez Moïse. La voiture est là. On entend la télé. Je toque.
« Bonjour, tu te souviens de moi ? »
« Évidemment, depuis hier ».
« Est-ce que tu as gardé ma casquette ? »
« Hmm, une minute »
Dix secondes plus tard, il m'ouvre la porte.
La gueule assez enfariné, l'air toujours aussi bourru, avec un petit sourire.
« Tiens la voilà, et fais attention la prochaine fois ! »
Je le remercie et je m'en vais.

La journée sera bonne.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire