dimanche 13 décembre 2009

Antichavisme : témoignages

Autan vous le dire, cela fait un bout de temps que j'ai envie d'écrire ce billet, mais que j'ai remis la chose à plus tard, tellement le sujet est sensible.

D'une part parce que ce faisant j'ose parler (selon "certaines sources") de plus de la majorité des vénézueliens. D'autre part parce que ceux dont je vais discourir sont socialement beaucoup plus proche de ma condition que tous ceux que j'ai rencontré jusqu'alors.

Je vais donc vous entretenir des anti-chavistes.

A ne pas confondre avec l'opposition, l'oligarchie, composée des groupes de médias privés d'une classe d'affaire et financière et d'une haute bourgeoisie avec également dans le tas quelques propriétaires terriens. Ceux là c'est un cas à part.

Ici je vais bien vous parler des anti chavistes. Ou si vous préférez de la classe moyenne. Et plutôt que tenter des généralités douteuses (ça viendra après), je vais plutôt vous retranscrire quelques conversations avec des anti-chavistes.


Je rencontrais ma première anti-chaviste au Venezuela paradoxalement dans un quartier populaire, à Catia, lors de l'élection (et de la naissance) d'un nouveau conseil communal. Alors que j'interrogeais les habitants sur les détails de fonctionnement pratique de ces conseils, une femme, la cinquantaine, est venu m'entretenir de ses problèmes, du gouvernement qui en fait rien pour elle, dans ce pays dictatorial, sans liberté d'expression où personne en fait rien pur elle et où rien de change. Je l'écoute au début, mais rapidement je sens que son discours perd une large partie de rationalité. Elle s'exprime de plus en plus rageusement, postillonnant, presque la bave aux lèvres. A la fin de son discours devenu un délire général elle nous expliquera que les médecins cubains sont des incapables et "percent les yeux des enfants qu'ils soignent", (mission Milagro : soin gratuits des yeux) et qu'ils "injectent le communisme dans les veines en faisant les piqûres" (Mission Barrio Adentro : médecins gratuits dans les quartiers pauvres) Ou encore que "Chavez nous dira bientôt ce que l'on doit manger", (mission mercal : aliments de premières nécessité à bas prix). J'ai soudain peur, serais-je manipulé moi aussi par la conspiration communiste mondiale ? Je m'entretiens avec un voisin qui m'explique que son fils à été opéré d'une fracture par des médecins de la mission très correctement, et totalement gratuitement. Et cette femme ? "Elle regarde juste un peu trop la télévision et vit dans un autre monde" Ouf, sauvé.

Autre rencontre, autre lieu, chez une amie dans les quartiers de l'Est de Caracas. Si représentatifs de ceux qui y vivent, rues vides, sans activités, sans musique, sans groupes de gens vaquant à leur occupation à l'extérieur, encore plus déserts la nuit, grands immeubles, banques, compagnies d'assurances. On est riche ici, au sens où l'ion est en tout cas (du moins en apparence) moins pauvres que cette masse informe de miséreux qui s'entassent dans les barrios sur les flancs des collines.

Soirée donc où je rencontre des professeurs du Colegio de Francia (lycée français). lycée où en plus de la sélection par l'argent, on sépare les "autochtones" des "expatriés" dans deux classes distinctes, des fois qu'ils pourraient sympathiser. J'ai eu une très très courte discussion avec des professeurs y travaillant d'où j'extraie de son contexte cette phrase : "de toute façon, le pays cours à la faillite, il n'y a plus aucune place pour les vrais entrepreneurs, l'économie est totalement sous contrôle de l'Etat (à 20% en vérité), l'inflation n'a jamais été aussi importante (en tout cas toujours inférieure à celle du gouvernement précédent) ça va s'écrouler comme l'URSS (qui n'a pas chuté pour cette raison)." J'ai arrêté là devant la suite d'âneries proférés en une minute. Dans la soirée on croisera également quelqu'un travaillant pour PDVSA (Pétrole du Venezuela, entreprise publique) et un autre pour la compagnie Total.
On est resté avec les autres amis, pas vraiment anti chavistes, et on est allé en discothèque, dans les quartiers riches, toujours.

Image irréelle, de la jeunesse plus ou moins dorée, se dandinant sur de la musique de jeunes (reggeaton, R&B, techno) avec seule affront à cette libération de l'oppression chaviste extérieure : un panonceau du ministère de la santé : "fumer provoque des cancers. L'abus d'alcool est dangereux pour la santé". Le chavisme s'affiche décidément partout. Un des jeunes dansant me souffle à ce propos : "tu vois, c'est ça l'oppression. contrôler le moindre de nos faits et geste, on est plus libre": Bon Dieu si c'est ca l'oppression, en Franc en doit être dans un État quasi totalitaire ! Détail amusant, malgré que l'on soit en boite et que la musique soit plutôt assourdissante, il y a toujours un groupe de gens qui battent le rythme avec des claves et des percussions, toute la soirée.


Encore une autre encontre, moins caricaturale à l'origine, acceptant par exemple d'entendre qu'il existe encore des gens (et plutôt une majorité de fait) qui soutiennent le gouvernement dans ce pays, essentiellement dans les quartiers populaires. C'est cette fois avec des membres du réseau couchsurfing, un réseau de jeunes qui t'offrent pendant tes voyages à travers le monde gratuitement une place sur leur canapé pour une ou plusieurs nuits. Concept sympa, très djeun's donc que je n'avais encore jamais utilisé. On prend un pot histoire de faire connaissance, au détour d'un café, le Cordon Bleu (ça ne s'invente pas) près de Plaza Venezuela, zone limite entre quartiers Est et centre.
Et bien évidemment on en vient à discuter de politique. Face à mois un vénézuelien de classe moyenne qui travaille dans les quartier pauvre des banlieues péri-urbaines de Caracas et un allemand travaillant à l'institut Goethe, ici depuis plus d'un an. Je leur parle de mon expérience dans les barrios avec Vive.

Après m'avoir écouté, ils me répondent comme j'en suis bien conscient : "mais tu sais que ce n'est pas ça le Venezuela". Je rétorque "Oui, ce n'est pas QUE ça". Petit sourire de leur part.

Ils m'entretiennent alors des prisonniers politiques au Venezuela.
Sujet hautement délicat s'il en est dont j'ai commencé à m'indigner depuis quelques temps, en bon occidental défenseur des droits de l'homme (et des femmes, des indigènes, des pauvres ...). En bon propagandiste, je leur rétorque que sur 40 prisonniers politiques recensés par l'ONG américaine Venezuela Awarness déclarés comme emprisonnés illégalement :
  • Environ un tiers sont des prisonniers ayant été jugés pour homicide pendant le coup d'Etat de 2002 (et non pas pour participation au coup d'Etat, ceux là n'ont jamais été condamnés, mais dont beaucoup ont de leur propre gré fui le pays par peur des représailles)
  • Une autre partie est constitué de délinquants économiques, corruption, détournements de fonds, dont se trouvent des ex-chavistes.
  • Enfin il reste quelques cas qui seraient peut être prisonniers politiques mais au vue des dossier qui m'apparaissent plutôt comme des erreurs judiciaires. Je tente de trouver des infos plus précises actuellement la question. Je leur ajouteque sur la situation générale des droits de l'homme dans le pays, je ne peux rien dire ne connaissant pas le sujet. Mes deux amis rient. "Oui ça c'est que dit la propagande. D'ailleurs tu nies les atteintes aux libertés tu viens de le dire". Mouvement de recul de ma part.

Ils changent de sujet et m'entretiennent de la situation économique "désastreuse, il n'y a pas besoin d'être un expert pour savoir que le développement du pays va mal". je ne dis rien même si je pense tout bas qu'il y a une crise mondiale et une chute des cours du pétrole qui peut avoir un certain impact.
Je leur répond "développement économique ou social ?"
-Les deux bien sûr"
Et le je sors mon arme ultime, pour défendre ce désastreux régime au bord du chaos : un chiffre de l'ONU. "l'IDH du Venezuela qui se situe un peu en dessous du Mexique et supérieur à la Russie ou au Brésil et à la Colombie"
Problème : mon interlocuteur ne sait pas ce qu'est l'Indicateur de Développement Humain. Malgré mon étonnement (on m'en avait déjà parlé plusieurs fois dans des quartiers pauvres) je lui explique. Pas convaincu.

J'enfonce le clou dans un exercice d'endoctrinement digne des plus grands staliniens (les maitres de la manipulation des chiffres) : "au niveau de l'éducation, on peut pas contester des progrès. En 2005, l'UNESCO a déclaré le Venezuela territoire libre d'analphabétisme, et c'est le pays d'Amérique Latine aujourd'hui avec un des plus forts taux de scolarisation."
"Mais ce sont les chiffres du gouvernement !"
"non, c'est l'organisation des Nations Unies".
"Je ne peux pas le croire"

Un dernier témoignage pour la route ?
Peut-être le seul que j'ai pu entendre réellement car le seul lucide.
Une autre fête, à l'ateneo popular cette fois. Une jeune fille engage la conversation avec moi et on en vient (la politique est le sujet de conversation numéro 1) à parler rapidement de nos opinions sur le pays. Avec un certains malaise visible sur son visage elle me dira ceci : "Ecoute, tu vois, d'un côté je sais bien ce que fait Chavez pour les pauvres, que je ne suis pas, donc je ne peux pas le voir directement mais ça existe. Mais mon père était propriétaire d'une petite entreprise d'emballage de nourriture, pour l'exportation. Il s'est fait exproprier au nom de la souveraineté alimentaire. Et toute ma famille est comme ça anti chaviste, Sauf un cousin, franchement révolutionnaire, avec qui toute la famille a rompu tout contact. Je peux pas me le permettre, c'est ma famille tu comprends, je ne veux pas que ça se reproduise avec moi. Même si je le voulais, et je ne le veux pas, je ne pourrais pas être chaviste."

C'est un des rares propos qui ne m'est pas paru totalement caricatural. Un peu de sincérité parfois fait du bien, même dans la bouche de ses adversaires politiques. Et avec qui on peut tout à fait partager une bonne bière et (tenter de) danser la salsa, les deux n'étant nullement incompatibles.

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