On est à Maracay
Cinquième jour de stage à Teletambores,
On a alors quasiment terminé le montage de notre projet documentaire pour Alba TV qui présente cette télé communautaire.
Pour fêter ça, au soir, celui qui nous accueille nous invite à faire une petite soirée en petit comité.
Il est 21h environ, quand nous nous asseyons dans la cour intérieure des locaux de la télé. Une nuit chaude, claire, au loin quelques bruits mais plutôt calme.
Notre ami procède aux branchements son et vidéo, on s'assoie juste à côté d'une des salles de réunion dans laquelle se trouve un projecteur vidéo et une chaine Hi fi.
Puis notre ami va chercher le petit plus qui fera tout le charme de cette soirée. Une bouteille de rhum, français, du Chemineaud.
Les filles nous accompagnant jusque là décident rapidement d'aller se coucher, fatiguée par plusieurs journées de travail.
On reste à trois, avec le frère du gars de la chaine.
Notre ami allume la chaine, le projecteur sort le petit gobelets. Première lampée. goûtues.
La musique commence : Pink Floyd, Eagles, Deap purple, Beatles
Tous les grands standards du rock américain dont notre ami est très amateur.
Et puis on parle. De tout de rien, de la vie.
Il nous raconte des petits bouts de la sienne.
Il a 19 ans, en février 1989, il voit et vit le Caracazo, cette émeute populaire dont la répression fit plus de 3000 morts. Premier pas en politique. Il voit qu'au delà de la répression qui s'intensifie chaque heure toujours plus, on commence à se réunir à s'organiser collectivement dans les barrios, à Maracay comme à Caracas. Mais l'émeute s'essouffle devant la répression.
20 ans, 1990. Il s'engage au groupe guérilléro Bandera Roja. Groupe clandestin, mais présent dans tous les quartiers populaires des villes du pays. Il suit la formation militaire et politique, obtient des responsabilité et monte dans la hiérarchie sans avoir rien demandé à personne et devient coordinateur pour son barrio.
Il y a 22 ans en 1992. Les rumeurs monte, un gros coup se prépare, une partie de l'Armée Nationale, un groupe dissident, populaire et organisé va tenter une action de renversement de la bourgeoisie au pouvoir. Bandera Roja participe. La date es plus ou moins connue, toujours clandestinement.
4 février 1992. Nous y sommes. Un bataillon de militaires menés par un gradé se soulève à Maracay et va marcher sur Caracas et prendre le pouvoir. Notre ami tient son rôle, prêt à combattre si le besoin s'en fait sentir et tient son quartier. Mais c'est un échec. La direction de bandera Roja trahit et abandonne la tentative contre des postes au pouvoir. Et contrairement à ce qui avait été cru, le peuple ne se soulève pas en soutien. Chavez est emprisonné.
1992 toujours. En novembre, nouvelle tentative du groupe, sans la direction, cette fois la population soutien plus largement, mais la police déjoue la tentative. Les camarades de notre ami sont emprisonnés. celui qu'on verra à Choroni enfiler les bières a été torturé à cette époque là. Notre ami, lui s'en est sorti, a échappé à la répression, il est alors clandestin dans son pays
1993 : amnistie. Le président Caldera décide pour apaiser les tensions sociales d'amnistier les participants au coup de 1992, dont il en veut pas faire des martyrs. Notre ami retourne à la vie au grand jour après quelques mois de vie cachée. Il abandonne Bandera Roja et commence à suivre ce jeune colonel qui avait assumé toute la responsabilité dans l'échec du putsch. qui lance une campagne populaire et sillonne le pays avec un programme novateur. L'appui est grand, de plus en plus large.
1998 : élections. 53% pour Hugo Rafael Chavez Frias. La joie, l'allégresse. La victoire. Mais pas le début du processus révolutionnaire, sa concrétisation institutionnelle.
2002 : coup d'Etat de l'opposition. Malgré la désinformation, les coupures des télés, des ondes de téléphones portable, l'info passe en un laps de temps extrêmement rapide dans tout le pays. La fille de Chavez a transmis l'info : le président n'a pas renoncé. De Maracay a nouveau, dans la caserne voisine, un groupe de militaire part pour Caracas pour tenter de reprendre le palais présidentiel. Notre ami quitte sa femme, retrouve les anciens camarades, qui sont en train de s'armer, de se préparer à aller au combat pour récupérer leur président. 48 heures de sueur, de larmes et au final l'allégresse. Chavez est restitué au pouvoir.
La bouteille se vide lentement à coup de lampées brèves mais intenses.
Il est minuit. On écoute toujours la musique, on est passé aux chants révolutionnaires.
Notre ami nous raconte cette petite anecdote : “j'étais alors à Cuba, pour une rencontre internationale des médias alternatifs. Je me ballade sur une place de la Havane. Et là une statue : John Lennon. Avec cette plaque : inauguré par le Commandant Fidel Castro.”
On parle lutte armée, impérialisme, révolution, rock, humanisme, conseil communal, socialisme.
Je suis face à un des responsables pour le Venezuela du réseau international Alba TV. Notre ami en fait, celui qui nous accueille ici avec toute la chaleur humaine que peut donner un vénézuelien à des gens qu'il estime.
On est au Venezuela, à Maracay, à boire du rhum français en écoutant du rock américain et on est bien.
Juste bien.
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