mardi 2 mars 2010

Dans la jungle merveilleuse du capitalisme pur et parfait

Je dois vous avouer que je ne suis pas tout à fait au meilleur endroit pour observer la révolution bolivienne.
C'est un peu comme si j'avais choisi l'Alsace-Lorraine pour faire une étude sur l'athéisme en France.
Ou la Vendée pour évoquer la Commune de Paris ...

Bienvenue en Amazonie bolivienne, entre la province du Beni et celle du Pando, dans cette media luna (demi lune), qui avec la région de Santa Cruz forme l'arc oppositionnel du pays.
Dans une ville reliée au reste du pays (et du monde) par une route, une seule, ou plutôt un sentier de terre qui traverse la ville en direction de la frontière du Brésil toute proche.
Riberalta, (Rive-haute), à la confluence des fleuves Beni et Madre de Dios.

Dans cette zone, pendant des siècles, l'on a exploité, jusqu'à il y encore 50 ans, le caoutchouc, comme disent les locaux, la goma, que ce soient les boliviens comme les étrangers. L'économie était florissante, le paternalisme économique aussi. Et puis la goma fut gommée, la ressource a été épuisée à force de surexploitation, les entrepreneurs sont partis, la pauvreté est revenue, ou plutôt a juste continué, la richesse des terres ne profitant qu'aux riches. Quand aux habitants originaux, les "indiens", ils étaient mis en esclavage pour mles plus pacifistes ou torturés et massacrés pour plus véloces. 
Vient depuis lors l'industrie de la cacahuète, la cascarra, florissante, fournissant une manne financière énorme, elle fonctionne toujours aussi « bien » aujourd'hui.

Quelle que soit la période, le modèle est le même : les maitres sont quelques grandes familles, richissimes et qui détiennent tout. D'une part l'économie, la richesse et avec elle la survie physique de la population, mais plus encore le contrôle des propriétaires des moyens de production porte la vie elle-même. Allant jusqu'à décider de qui se marie avec qui. Et bien entendu de pour qui voter lors des élections. "Indien" et "paysan" sont toujours des injures, pour la majorité de la population. Au niveau de la vie quotidienne, tout est à faire : eau potable, électricité, égouts, aménagement du territoire, routes, … Mais peu importe, la population a survécu ainsi pendant 200 ans, elle peut bien continuer encore un quelques décennies.

Au cœur de ce tiers de quart-monde, les produits les plus visibles se nomment Kawasaki et Toyota, les motos, quasi unique moyen de transport et symbole de reconnaissance sociale, à l'exception de quelques 4x4 pour les plus aisés, ou de simples vélos pour les plus pauvres. Le plus souvent ceux-là n'ont que leurs jambes pour se déplacer. Les paysans sont comme de coutume soumis au patronage des propriétaires terriens, à la monoculture de la cacahuète et la dépendance perpétuelle. S'ils tentent de sortir du cadre obligatoire, ils sont vite rappelés à la raison puisqu'il en coûte plus d'être transporté à la ville que de vendre ses quelques plants de manioc (la yucca) au marché. Le "choix" entre la mort miséreuse dans la dignité et la survie sous dépendance perpétuelle est vite réglé, il faut bien bouffer. Et pourtant avec le climat, il serait possible de faire deux à trois récoltes de céréales à l'année. Mais l'exploitation des terres agricoles est consacrée à l'élevage de bétail, sur des kilomètres de terres libérés grâce à la déforestation.

Le plus gros problème est finalement que la population a intégré totalement jusqu'au plus profond de sa conscience ce lien de dépendance qu'elle doit au maitre, si bien qu'elle se retrouve démunie lorsqu'elle se trouve devant la nécessité de s'organiser collectivement. Et qu'un bon tiers des paysans ayant recu des terres de l'Etat ne les cultivent tout simplement pas, préférant encore acheter leur subsistance à la ville et laisser inactif leur petit bout de terrain. Et de se propager un peu plus dans les villes le discours sur la fainéantise et l'incapacité des paysans et des indiens ... 

Les travailleurs sont d'abord ceux de la cacahuète, très nombreux, exploités, sans syndicat sinon patronal et non organisés. Les lois du travail ont beau avoir été votée à la Paz, ils semblent qu'elles ne soient pas encore arrivées ici. Il faut dire qu'elles n'étaient d'aucune utilité, la population ne sachant ni lire ni écrire jusqu'à l'arrivée récente des programmes gouvernementaux qui ont depuis, fait positif, délivré le territoire de l'analphabétisme.

Les rapports humains s'organisent ainsi : dis moi qui t'emploie, je te dirais ce que tu penses. La parole d'autorité reste en premier lieu celle du maitre, du patron, puis celle de l'archevêque, du gouverneur, et enfin l'évêque et le maire. Au delà, il faut se rendre dans les quartiers pauvres où un embryon d'organisation populaire existe avec les présidents de quartier, qui défendent les intérêts du voisinage, mais qui ici n'ont que très peu de marge de manoeuvre.

Au niveau politique ce n'est guère plus glorieux. Le MAS est arrivé depuis peu, à construit quelques routes, mais la province comme la mairie sont toujours d'opposition. Fin 2008 ont eu lieu des émeutes sanglantes avec massacres de population. Les « bons citoyens » en venant à tabasser  les paysans et les indigènes. Pendant ce temps à Santa Cruz, coeur oppositionnel du pays, Les étudiants taguaient des croix gammées sur les murs de leur fac pour clamer leur amour de la démocratie. A Riberalta, les militants révolutionnaire ou tout simplement les personnes engagées dans l'aide aux plus démunis ont dû s'exiler de la région pour un temps devant le danger pour leur vie. C'est seulement depuis la fin de cet enième tentative de coup d'Etat intérieur, appuyé par l'administration américaine via son ambassadeur, depuis expulsé, qu'il n'est plus motif de menace de mort que de se dire publiquement massiste (partisan du MAS). Mais là encore, cela reste le plus souvent quelque chose qu'on ne crie pas sur les toits, sous peine de licenciement, problèmes judiciaires ou menaces diverses à son intégrité ou celle de sa famille. De fait, le Mouvement vers le Socialisme n'a pas encore pu prendre racine, seul 30% de la population à soutenu de son vote le MAS aux dernières élections.

Enfin, pour parfaire le tableau, les médias, télé, radio comme journaux, sont tous exclusivement privés, l'Etat n'ayant pas encore pu implanté dans tout le pays sa chaine de télévision publique. Se détache quelques radios dont le propriétaire n'est autre que l'Eglise catholique, ce qui ouvre un peu le champ des possibilités en comparaison avec les médias privés. Avec ces derniers l'on retrouve les si familiers « cubanisation », « dictature », « atteinte à la liberté d'expression ». Là non plus il n'y a aucun fondement concret, mais à la différence au Venezuela, il n'y a rien en face pour contre attaquer.

Et c'est dans cela que je me trouve, travaillant pour une ONG du terroir, pas vraiment ongisto-colonialiste, et beaucoup plus vraisemblablement révolutionnaire, socialiste, protectrice de l'environnement et populaire. Un îlot de résistance avant-gardisé au milieu du poumon de la planète, où l'expression jungle capitaliste peut librement prendre toute son ampleur.


En somme, le paradis sur terre.

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