mardi 6 avril 2010

Prise de grippe le jour du Grand Soir

Ce dimanche 3 avril est un jour spécial en Bolivie.
Pas un magasin d'ouvert, pas un taxiste dans les rues, pas une voiture qui puisse circuler.
Plus encore qu'un jour férié, absolument tout est fermé, hormis les personnes vivant sur leur lieu de travail. Pas de circulation hormis celle expressément autorisée de 8h du matin à minuit.
Et la police veille au grain. Egalement, interdiction de sortir une pancarte, une affiche, ou pire encore un t shirt avec des significations politiques.
La ville est déserte, sauf à 5 points de convergence où la population se rassemble dans des queues immenses. Pluie, tempête ou beau temps.

Non ce n'est tout à fait la naissance d'un Etat totalitaire et la pénurie généralisée d'un gouvernement bolchévique tropical.
C'est juste une élection.

Ce dimanche se sont déroulées les élections municipales et régionales en Bolivie.
Les élections en Bolivie sont un poil différentes de la France.
D'abord le vote est obligatoire, enfin non, pas obligatoire concrètement puisqu'il n'y a pas de condamnation pour non vote. En revanche, sans le tampon du bureau de vote; il est impossible pendant l'année suivante d'encaisser un chèque, contracter un crédit, suivre quelconque une démarche administrative, toucher son salaire, autrement dit ce n'est pas obligatoire mais fortement contraint, le taux de participation avoisine donc les 98%.
En compensation, les votes blancs comme les votes nuls sont comptabilisés et séparément l'un de l'autre.

Les bulletins de vote en eux mêmes sont différents, se présentant comme une grande feuille qui contient la présentation de chaque candidat, et l'on vote par colonne, par couleur, avec en ligne les postes.

Il faut également ajouter que c'est une autorité distincte, dont je ne sais pas comment elle se constitue, qui prend en charge l'organisation et la tenue des élections, la cour nationale électorale, divisée en cour régionales. Les cours régionales des les régions de l'est du pays, au moment des troubles séparatistes de fin 2008 se sont notamment fait remarquées pour leur propension a appuyer l'opposition, et a dénoncer l'avènement de la dictature communiste dans le pays. Rien de neuf en somme. Dictature on aura pourtant du mal à parler puisque la troisième grande différence avec la France c'est qu'ici on vote beaucoup et en même temps.

Pour rappel, la division administrative de la Bolivie c'est l'Etat, divisé en régions (departamentos), divisées elles mêmes en départements (provincias), divisés en commune ( municipio). Sachant que les régions ont un pouvoir autrement plus fort qu'en France, l'autonomie régionale est une des composante importante du mouvement en cours dans le pays.

En ce jour ont été élus dans tout le pays, par le suffrage universel direct :
 le conseiller régional (gobernador, anciennement prefecto)
 le vice conseiller régional, un par département (sub gobernador, anciennement vice prefecto)
 les membres du conseil régional, scrutin par liste (asambleistas)
 le corregidor, sorte de préfet élu, qui fait le lien entre Etat et département, et membre des autorisés régionales. Enfin de ce que j'en ai compris.
 Le maire (el alcalde)
 les représentants du conseil municipal, scrutin nominatif ET par liste (concejales)

Vous suivez ? Et tout ça dans un seul bulletin, enfin deux puisque le vote régional et municipal est séparé. Un poil complexe. A titre d'exemple, pour l'élection du corregidor, le taux de votes blancs a dépassé le 40%, les gens n'ayant pas vu la case ou ne sachant pas ce que cela désigne. Les militants du MAS me présentant leur candidat à ce poste n'avaient pas été capables non plus de m'en dire plus sur cet obscur personnage. Le candidat était comme de par hasard le type qui m'a pris en charge depuis un mois au sein de l'Institution. Oui, j'ai échoué au milieu d'une jungle pleine de militants. Du coup, pour bien se faire comprendre, dans leurs spots de propagande et affiches, les candidats indiquent méthodiquement comment on fait pour cocher une case. Discours du vice président de la République de Bolivie, Alvaro Garcia Linera, qui avait fait l'honneur de venir soutenir les candidats du MAS en meeting de cloture de campagne: « pour voter, rappelez en vous bien ! Vous cherchez la colonne bleu et vous cochez la petite case blanche sur toutes les lignes ».
Avec les gestes type hôtesse de l'air et tout et tout. A peine infantilisant. M'enfin pendant des siècles plus de 60% de ce pays n'existait pas. Ca prend du temps y compris chez les leaders révolutionnaires de changer leur regard, surtout que ces indigènes et paysans, même dans le processus, restent encore pour un grande part persuadé de leur infériorité intellectuelle. Non, aucune contradiction, je vous assure qu'il y a bien une révolution dans ce pays.

Et ce soir c'est soirée électorale. Enfin dès 8h du matin on pouvait voir « bientôt les résultats en exclusivité ». Au final, sur toutes les chaines, les résultats ont commencé à être annoncés en même temps, … à 18h.
Arrivent donc les premières estimations. Les éditions spéciales aux titres : « pouvoir du vote », « le jour V (comme vote) », on lésine pas sur la marchandisation de la campagne. Mais étonnement ils sont malgré tout beaucoup moins sur le modèle course de chevaux de la France. C'est plus un David démocrate contre Goliath du MAS. Les analystes de tout poil, tous hostiles au Mouvement vers le Socialisme, défilent et commentent tour à tour les sondages sortie des urnes, puis les résultats à 10%, à 20% des bulletins dépouillés. Se contredisant sans peine, avec une stratégie bien rodée : si un résultat est défavorable au MAS c'est une défaite nationale, l'expression du désaveu populaire contre la dictature, et s'il est favorable; c'est uniquement parce que localement le candidat est apprécié et que les gens sont des imbéciles.
Presque un mois sans voir la télé, dieu que ça m'avait manqué !

Dans la vie réelle, le MAS s'impose dans 6 régions sur 9 au lieu de trois précédemment, perd la mairie de La Paz et gagne trois capitales régionales. On apprend quand même des choses intéressantes : le MAS est élu par les campagnes (ô surprise) et n'a pas un fort appui dans les villes. Conclusion de l'analyste : les gens des campagnes sont fortement attachés à l'image d'un leader et sont incapable de se prendre en main et c'est normal puisque ce sont des pequenots. Et le MAS doit faire sa mutation pour toucher les classes moyennes urbaines qu'il discrimine quand même un peu trop. Et pi on va passer notre vie avec des indiens et des paysans, sans dec'. Et de lancer un appel à la concorde, à la fin du divisionnisme, en somme à la politique de classe, qu'est censé mener le MAS. Et je vous jure que c'est à peine exagéré.
MAS qui est un vieux parti, et qui s'il a un leader nouveau n'a pas changé dans sa structure, et reste un parti somme toute traditionnel, et certainement pas de classe.
Evo Morales a été réélu président en décembre dernier par 65% des suffrages. Conclusion de l'analyste : le MAS est en perte de vitesse. Un petit parti d'opposition a gagné la mairie de la Paz et de la ville ex minière d'Uroro, le Mouvement des Sans Peurs. (on se demande de quoi ?). C'est donc le premier opposant politique du pays. Et ça réjouit beaucoup nos commentateurs qui voient enfin émerger le contre-balancier démocratique à l'omniprésence du MAS. Le même MAS dont on a appris dans le JT précédent la soirée en vrac qu'il tabasse les femmes enceintes, empêche les gens de s'exprimer et veut instaurer une dictature castro-chaviste. Les médias restent vraiment un exemple de richesse intellectuelle et d'objectivité.

Ici on est à Riberalta. En pleine terre d'opposition, dans ces départements de la « media luna », de l'est du pays, avec les cambas, les orientaux, qui se sentent si différents des coyas, les andins. Une histoire de colonies de peuplement espagnole au XVIIe siècle, mais surtout de sentiment régionaliste exacerbé avec Santa Cruz, dont le chauvinisme anti-socialiste n'est plus une légende depuis leur tentative ratée de coup d'Etat par le séparatisme régional, fin 2008. Ayant engendré des traques aux indigènes pour leur faire comprendre « qu’ on » n’est pas des sous-races à Santa Cruz comme ici. Avec des morts quand même. Et les pressions continuent, licenciements pour faute idéologique, refus de crédits, la peur ne se dit pas mais il ne fait pas bon être révolutionnaire dans le coin, même un an après. Je vous l'ai déjà dis qu'on s'éclate vraiment dans le coin ?

Et puis il y a le Movimiento Al Socialismo, près d'un tiers de suffrages malgré la peur, la désinformation et les menaces. Et puis il y a ce candidat à la mairie. Mauro Cambero. C'est le père d'une collègue de travail dans mon « ONG ».

Si tant est qu'une ONG qui s'occupe entre autre de l'émergence de leaders populaires locaux dans le vieux parti pyramidal qu'est le MAS, ou encore de l'appropriation par les communautés indigènes et paysannes des outils de la démocratie directe, ou encore de l'auto organisation paysanne et la production coopérative, puisse encore s'appeler « ONG. »
Bref après une bataille interne acharnée, les directions du Mouvement vers le Socialisme ont acceptées de laisser la tête de liste à un candidat demandé par la population elle même. Il se trouve que par un grand hasard c'est dans une des salles de réunion de l'IPHAE que cette candidature s'est décidée. L'Institut reste dans tous les cas bien une organisation non - « gouvernementale ». En compensation à cette concession populeuse est restée la candidate désignée par Evo Morales lui même pour les régionales, Jessica Jordan, miss Bolivie 2005, une femme … surprenante. On ne vous avait pas dit qu'on pouvait être leader révolutionnaire et très machiste ?

Le programme de tout ce joli monde : fin de la corruption, fin du gaspillage et amorce du changement. Phrases creuses ?
la corruption c'est des centaines de millions qui partent on ne sais où, sinon dans la poche de 5 familles qui régentent leur fief tropical, avec l'appui des patrons de l'industrie des amandes, et le consentement forcé ou non des habitants.
l'argent gaspillé c'est refaire l'ensemble du système d'écoulement des eaux de la ville et le faire tellement mal que jusqu'à la place centrale est désormais inondés à la moindre ondée (et l'on sait qu'en zone tropicale la saison des pluie est un phénomène important), ou de créer des digues dans les quartiers les plus pauvres de telle manière que l'eau peut désormais entrer à l'intérieur même des maisons.
Et le changement c'est tout simplement que cette région d'une très grande pauvreté généralisée puisse enfin prendre le wagon en marche du mouvement révolutionnaire que vit le pays.

Bon je sais que vous vous en fichez éperdument de l'état des trottoirs dans une quelconque cité amazonienne à des dizaines de milliers de kilomètres de notre France adorée.
Mais pas moi. Et si j'avais pu voter (6 mois de résidence minimum requis, dommage)
je l'aurais fait avec un grand plaisir et une grande fierté.
Surtout que j'ai contribué à cette victoire un peu, avec un apport en huile de coude pour aller peindre en pleine nuit une façade aux couleurs locales.


A moins que, 
Non en fait j'écris tout ça parce que ...

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