jeudi 1 octobre 2009

la dignité du cireur de pompe

Bon je suis arrivé, vous vous en êtes doutés, et plutôt bien ma foi.
Mais quoi qu'il en soit, avant de vous narrer mes premiers contacts avec Caracas, un petit rappel de ce qui s'est passé la nuit dernière.

Nuit dernière donc où le soir j'arrive à 21h, heure locale, à Bogota, Colombie. Le voyage a vraiment été, sans mentir, un plaisir, entre les collations servies régulièrement, l'écran multimédia sur le siège avec films, musique, suivi du vol sans oublier les écouteurs et les oreillers en bonux, bref traités tel des grands bourgeois, les 10 heures sont vite passées.

En revanche l'arrivée, ce fut une autre paire de manche. Un simple heure et demi pour passer la douane à cause de la foule qui n'avait rien d'autre à faire que faire de même. Salauds de voyageurs.
Et puis il a fallu dormir pour attendre l'avion suivant, le lendemain à 8h.
Tenter.

Dans un aéroport, c'est pas commode vous avouerez.

Surtout dans un aéroport où y a des télés à fond partout qui diffuse au choix des telenovelas (à côté de quoi benjamin castaldi est intelligent), des pubs ou de la propagande militariste colombienne ("les vrais héros existent .. en Colombie")

j'ai donc lu (le voyageur imprudent de René Barjavel pour les curieux), tenté de m'allonger dormir, re-lu, re-tenté de dormir.
Réveillé aux alentours de 5h du matin, je vois devant moi un type qui se fait cirer les pompes.
Costard cravate, petit veston et chaussure noires. Démarre une musique classique rapide.
Je ne comprendrais qu'ensuite que c'est la musique d'un autre film de propagande militaire (notre devise : Ordre et Liberté)
Et devant moi un homme qui cire les pompes.
Pas la gueule caricaturale d'un pauvre asservi, baissant la tête.
Tout le contraire en fait. C'est un employé de l'aéroport. Costume comme un douanier mais en habit bleu.
Le geste est précis, rapide, exécuté avec une finesse incroyable.
c'est de l'artisanat et du bon. Non pas de l'artisanat, simplement de l'art.
Je ne sais si c'est ma fatigue ou le fait d'arriver en ces lieux mais ...
Oui, cette homme cire les pompes comme s'il exécutait une œuvre d'art.
Il était digne. Vraiment.

Vous me connaissez, marxisant sur les bords, dans ma bouche "cirer les pompes" à quelqu'un ne sonne pas très artistique, plutôt lutte de classe et exploitation et tutti quanti.
Mais, bizarrement voyant ce type cirer des chaussures, j'ai eu une réflexion peu orthodoxe (peu marxiste orthodoxe).

j'ai pensé que ce type là à cirer des pompes, à exécuter cet "art" est au fond plus digne que beaucoup de travailleurs occidentaux.
Je m'explique avant qu'on m'assassine pour trahison idéologique.
Quand l'ouvrier est dans une chaine, dans une usine, il n'a le choix, ni de ses heures, ni de son salaire, ni de ce qu'il fait, ni de disposer de l'outil de travail et ni d'en récupérer le fruit. Bref, il est exploité.

Le cireur de pompe lui est propriétaire de son moyen de production (le cirage), il n'y a pas de division du travail, il effectue tout seul son boulot (pas un qui tiens la chaussure, un qui frotte, un qui lustre)
Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il a choisi son travail, je ne connais pas encore assez bien la sociologie du cireur de pompe.

Par contre, le bourgeois était lui soustrait à sa condition de donneur d'ordre, du sommet de la pyramide, au fond il était soumis. Il se soustrayait à son pouvoir pour assurer son prestige dont il est prisonnier.

Éternel débat entre le maitre et l'esclave, qui est le plus libre des deux ?
L'un comme l'autre ne sont évidemment pas enviable.
A la différence que sans cireur de chaussure, le "prestige" du bourgeois tombe. Et durant cette minute de cirage de pompe, s'il venait à l'idée d'un syndicaliste de son entreprise de venir causer conditions de travail ou salaire, je suis persuadé qu'il dominerait ce pauvre petit etre réduit à se faire cirer les chaussures pour exister socialement.

A ce moment, la musique de la propagande s'arrête, je détourne mon attention une seconde de ce spectacle social et j'entends passer une femme avec des talons.
Meme si on dirait une marche militaire parfois, armée des femmes "libres" ?

C'est juste que au moment de passer devant moi, surgit l'embardée, le mauvais geste qui lui fait perdre, l'espace de 5 secondes, l'équilibre. Sauf qu'au lieu de chuter lamentablement, elle exécute un rattrapage digne des plus grands acrobate. Et son pas de travers se transforme en pas de danse, gracieux, équilibré, parfaitement exécuté là encore.

Ainsi j'ai su que j'étais en terre latinoaméricaine.

c'est ce qu'un certain écrivain appelle le "réalisme magique".

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