mardi 24 novembre 2009

Quand la télé communautaire tambourine à l'oreille de la Révolution

Nous quittons Catia TV et Caracas vers 16h.

Le soleil commence à décliner alors que nous voyons au loin les derniers ranchos de la capitale. Le trafic est pour une fois plutôt fluide. Nous sortons de la vallée dans laquelle se trouve Caracas est commençons la descente des collines. A chaque virage de la grand route qui serpente les flancs des collines, on croise encore un quelconque vendeur de perro caliente (hot-dog) installé sur le bas côté, encore quelques maisons ici où là, on distingue des sentiers dans la montagnes menant à des habitations encore plus incertaines, perdues dans les hauteurs et dans les arbres. On croise aussi les stations-service, celles de ce pays où le litre d'essence coûte moins cher qu'un litre d'eau potable. Nous suivons la route du Sud un temps puis bifurquons vers l'Ouest, vers notre destination, Maracay, État Aragua.

Les collines se font un peu moins pentues et et plus lointaines. Descendant vers les llanos, les plaines du centre du pays, les panneaux publicitaires jonchant les bords de l'autoroute se multiplient et prennent des dimensions toujours plus hallucinantes. Certains semblent plus larges que l'autoroute elle-même. Et nous continuons à rouler, où plutôt, serpenter cette route, à une vitesse relativement élevée compte tenu des nids de poule ou simple crevasses qui jonchent la chaussée de toute part. Le son de la musique llanera couplé à la climatisation à fond nous bercent et nous arrivons sans nous rendre compte à l'entrée de Maracay. Ou plutôt du municipio Francisco Linares Alcantara, notre destination.

Nous, c'est les 3 compagnons d'Alba TV, deux argentines et un uruguayen, et moi-même. Alba TV, encore un projet quelque peu révolutionnaire. Au Venezuela, VTV, canal gouvernemental, et Vive TV canal "du pouvoir populaire". Sur l'Amérique latine aujourd'hui il existe TeleSur, canal des gouvernements ... et est en train de naitre Alba TV canal des mouvements sociaux et des peuples latinoaméricains.
Comme la vingtaine des autres camarades d'Alba TV venant de toute l'Amérique latine, nous sommes envoyés aux quatre coins du pays pour voir de dedans comme ça se passe.
Certains sont a Maracaïbo, d'autres resteront a Caracas, a Catia TV, ou a Vive, Nous nous allons a Maracay.

A l'entrée de la ville, drôle d'impression. Est-on bien arrivé ou traversons nous une petite bourgade perdue dans les llanos ? C'est plat comme la plaine dans laquelle nous nous aventurons. Pas d'immeubles, pas de tours, pas d'immensité polluée de gaz d'échappement. Une grand avenue assez fréquentée avec des petites rues perpendiculaires, s'étendant à perte de vue, le tout formant un vaste quadrillage, mais l'ensemble et plutôt désert. Nous sortons de la voiture, et malgré l'heure avancée et la nuit tombante, il fait chaud, très chaud. Une chaleur à la fois lourde et étouffante. Un petit vent rend la chose plus supportable. Nous nous trouvons au cœur du secteur populaire « El Museo » du quartier Santa Rita. Face à nous une petite baraque avec une antenne dont il est difficile de distinguer le point culminant. Et dessus, une pancarte : Teletambores.


Nous faisons donc face aux locaux d'une des première télévisions communautaires vénézueliennes. Il en existe quelques autres qui datent autant, de 2001, comme Catia TV. Mais la majorité sont nées après, après le coup d'État de 2002 et la prise de conscience de la nécessité d'une communication alternative.

C'est justement le projet ici, ambitieux mais concret : créer un nouveau modèle de communication non asservi aux intérêts privés et surtout venant du bas, du peuple. En finir avec une télévision de cadres supérieurs qui disent aux gens quoi penser. En finir avec les standards multinationaux de formatage de l'information, de violence et de manipulation permanente. Visite rapide, 8 personnes en activité permanente, une dizaine d'autres en soutien plus irrégulier. Un bureau à l'entrée, une salle d'édition avec 3 ordinateurs, un studio de tournage en plein travaux, pas insonorisé. Et dans les bâtiments par derrière, des salles de réunion, une autre salle d'édition et le dortoir.


On rencontre Leonardo Briceño, directeur d'activité de la chaine. Il nous explique que les salles de réunions servent pour les conseils communaux du quartier, les comités de santé, etc .. et ne sont en rien réservé à la chaine. Logique, une chaine du peuple doit pouvoir donner un accès direct aux personnes pour lesquelles elle prétend s'exprimer.

Teletambores, comme toutes les chaines communautaires disposent d'un avantage certains sur tous ses concurrents, qu'ils soient privés ou publics : c'est une télévision totalement libre. Ils ont choisi ici de passer l'Alo Presidente non pas par contrainte mais par conviction. De même ils auraient pu utiliser la publicité mais le choix à été fait de s'en passer. Dans ces quatre murs s'érige une télévision communautaire locale, faite par et pour la communauté. Et ici encore, ce ne sont pas que des mots. On le voit tout de suite dans les programmes, dans les gens qui vont et viennent le jour et une partie de la nuit.



On déguste une platée de riz au restaurant chinois du coin. Ce n'est plus Caracas ici aussi, le double de quantité pour des prix moitié moindres.

En rentrant, on discute de tout et de rien avec les gens du quartier. L'un deux nous raconte l'Histoire, son histoire, comment il participa au Caracazo, en 1989, à 19 ans. Comment il s'engagea dans le groupe armée Bandera Roja, guérilla, en 1990, à 20 ans. Comment il pris du galon et participa à l'organisation du coup d'État manqué de 1992. Manqué à cause de la direction du groupe, qui déposa les armes en échange de postes ministériels, ces mêmes leaders qui sont aujourd'hui des « marxistes léninistes de droite », des opposants, encore. Mais surtout parce que le peuple ne soutenait pas.


Un autre nous parle d'ici, de Maracay, et de la garnison du coin, celle dont est parti le coup d'État manqué de 1992 et la même dont sont issus les militaires qui se levèrent en 2002 pour restituer Chavez après le putsch manqué de l'opposition. Ici le militaire n'est pas le putschiste hondurien ni le soldat de Pinochet. Aussi paradoxal que ce soit, c'est aussi une partie de ce Peuple, a la fois si abstrait et si concret. "Une révolution pacifique mais armée" ainsi que la présente Hugo Chavez lui-même. Toute cette histoire ici est encore présente, ne peut s'oublier, elle imprime les esprits, ... et donne quelques raisons d'agir pour encore un certain temps.

Municipalité chaviste, cet état d’Aragua est un des grands bastions de la révolution en nombre de votes. Ici aussi on critique, on est conscient des problemes, bureaucratie, corruption, .... Mais comme nous l'exprime Leonardo, il y a une certitude, ce processus est irréversible. Pourquoi ? Parce que même si l'opposition devient a un moment donné majoritaire, "comment fera-t-elle pour nous retirer les mercals, les dispensaires barrio adentro. Et surtout, comment feront-ils pour nous empêcher de penser ?"

L'histoire de Teletambores c'est aussi celle-là, celle de ce passé, qui s'oublie souvent, surtout en zone urbaine, quand on est au cœur de l'action et de la vie politique.
Et celle de ce processus que d'aucuns s'aventurent parfois a qualifier de révolution.

On est à Teletambores, à côté de Maracay, dans une ville à la campagne.
Et il fait chaud,

très chaud.

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